expo zéro

Crédits / Credits

« J’imagine
un musée sombre »

François
Chaignaud

“I imagine
a dark museum”

J’imagine un musée sombre. Un musée sombre dans lequel on rentrerait un par un. Un musée constitué de centaines de cellules, capsules, chambres, pièces, containers, boîtes, salles, bacs, dans lesquels on rentrerait un par un. J’imagine que dans chacune de ces capsules obscures, on serait invité à s’allonger ou à s’asseoir, ou même à (s’ac)croupir, à seulement se figer. J’imagine un musée qui découragerait les visiteurs, qui leur ôterait le désir de continuer leur visite. Un musée obscur et étouffant dans lequel on ne pourrait que s’amollir, s’endormir, s’engourdir. J’imagine un noir musée de la danse, un musée de la danse que l’on ne pourrait pas visiter mais qui nous visiterait. Je m’imagine seul – allongé – atterré – endormi – dans une capsule calfeutrée, prêt à visiter
un musée invisitable. J’imagine un musée que l’on ne pourrait pas visiter mais où la danse nous visiterait. Un musée où — puisque l’on ne peut pas voir de danse, de danseurs, lire de livres, ou consulter d’archives  — tous nos souhaits, espoirs, désirs, craintes, préjugés, rêves, cauchemars de danse nous visiteraient. Ce serait un musée où l’imagination serait plus rapide que le savoir. Le musée de tous nos soupçons sur la danse. J’imagine un musée où l’on serait visité, un musée où la danse invisible viendrait nous rendre visite, nous voir, nous toucher, nous frôler, nous parfumer, nous envahir, nous irriter.

Le musée des parfums
de la danse
.

Cela serait comme un salon de massage. Lorsqu’un masseur nous touche, la moiteur de son toucher, la force des pressions, la rapidité des contacts nous renseignent autant sur ses rêves, son savoir, ses cultures, ses techniques, ses obsessions, ses ignorances que sur nos fatigues ou douleurs. Ainsi, dans chacune des capsules du noir institut, un massage aveugle nous laisserait visiter des danses, des histoires, des styles. Les mains uniques, singulières, subjectives, arbitraires du masseur nous visiteraient. Nous laisserions nos corps se faire visiter. Un musée opaque où des corps inconnus nous visiteraient. Comme lorsque la douceur de la peau, le goût des lèvres, lorsque la posture et l’assemblage inédit d’hésitations et d’assurances d’un amant étranger nous gorgent de nouvelles connaissances – autant qu’ils nous glacent et ravissent. Sombre musée délicieux où les caresses échangées augmenteraient à l’infini les savoirs sur les danses du monde.

Au sous-sol du musée de la danse, serait le mouroirde la danse. Dans ses capsules, se décomposeraient les danses mortes, les danseurs morts, les danses mourantes et les chorégraphes presque morts. Des danseurs pourris, des danses faisandées s’infiltreraient dans le corps des visiteurs assoupis. Les ferments de ce compost géant flotteraient autour des visiteurs. Toute l’histoire mourante de la danse y moisirait et s’y recomposerait. Un compost désintègre les matières, fait voisiner des substances d’origine et d’ancienneté diverses et forme une pâte chaude et riche en rejetant ce qui reste inassimilable. Dans ce musée mouroir de la danse, l’histoire de la danse ne serait pas un catalogue de styles et d’époques mais un gigantesque compost où les mourants se décomposent à des rythmes variables. Un compost dont les effluves tièdes envelopperaient les narines curieuses et languides des visiteurs.

I imagine a dark museum. A dark museum in which people would enter one by one. A museum made of hundreds of cells, capsules, rooms, containers, boxes, halls, tanks, in which people would enter one by one. I imagine that in each of these dark capsules, one would be invited to sit or to lie down, or even to crouch, to only freeze. I imagine a museum that would discourage visitors, take away from them the desire of continuing their visit. A dark and stifling museum where one could only soften up, fall asleep, grow numb. I imagine a black museum of dance, a dancing museum one couldn’t visit but which would visit us. I imagine myself alone – lying down – overwhelmed – asleep – inside a draught-proof capsule, ready to visit an unvisitable museum. A museum where – since one can’t see dance, or dancers, read books, or consult archives – all our wishes, hopes, desires, fears, prejudices, dreams, nightmares of dance would visit us. It would be a museum where imagination would be faster than knowledge. The museums of all our suspicions concerning dance. I imagine a museum where one would be visited, a museum where the invisible dance would come to visit us, see us, touch us, brush us, perfume us, invade us, irritate us.

The museum of dance’s perfumes.

It would be like a massage parlour. When a masseur touches us, the moistness of his touch, the strength of the pressures, the swiftness of the contacts inform us as much about his dreams, his knowledge, his cultures, his techniques, his obsessions, his ignorances, as about our wearinesses or pains. Thus, in each capsule of the black institute, a blind massage would let us visit dances, stories, styles. The unique, singular, subjective, arbitrary hands of the masseur would visit us. We would let our bodies be visited. An opaque museum where unknown bodies would visit us. Like when the softness of the skin, the taste of the lips, when the posture and the unprecedented combination of hesitations and self confidence from a strange lover fill us with new knowledges – as much as they chill and delight us. Dark delicious museum where the exchanged caresses would increase ad infinitum the knowledges about the dances of the world.

In the basement of the dancing museum, would be dance’s dying home. Inside its capsules the dead dances would decompose, and the dead dancers, the dying dances and the nearly dead choreographers. Rotten dancers, gamy dances would sneak into the bodies of the dozing visitors. The ferments of this giant compost would float around the visitors. The whole dying history of dance would go mouldy and would recompose in there. A compost disintegrates the matters, brings together substances of various origin and antiquity, and forms a warm and rich paste while rejecting what remains unassimilable. In this museum-dying home of dance, history of dance would not be a catalogue of styles and periods but a gigantic compost where the dying decompose at various rythms. A compost whose warm emanations would surround the curious and languid nostrils of its visitors.

Copyright: Donatien Veismann