expo zéro

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13 propositions

Donna Miranda

13 propositions

Ici (1) l’échec est reconditionné en tant que x nécessaire au maintien du nouage en tension. Un (2) échec symbolique du caractère obtus de la stabilité, (3) comme ces gestes préventifs qui calment la peur de l’impossible. (4) L’échec permet de garder intact le fantasme de l’idéal, et admissible l’ennui de la routine. (5) L’échec offre de l’espace pour les permutations et les investigations périphériques. (6) L’échec a pour but de redonner un cadre à l’ordinaire et à l’organisation du monde tel que nous l’observons. (7) Un échec qui est simultanément dissimulation de la propension à fabriquer d’éloquentes excuses pour prolonger l’indécision et le dévoilement. (8) L’échec est fragment achevé, stratégie oblique, productive et coopérative en tant que rejet de la finalité. (9) L’échec est le début d’une collection impossible. (10) L’échec n’est pas l’épuisement mais il est romantique et affectueux. (11) L’échec fait office de mémorial où le sens est généré, épuisé et vidé de sa nécessité. (12) L’échec est une raison suffisante pour commencer sans rien, travailler avec rien, et (13) réfléchir aux excès qui sont amenés à occuper l’espace.

Par conséquent, je ne m'attendais à rien de particulier, et je ne fus pas surprise lorsque je réalisai rapidement que la désorientation, la distanciation, la contradiction, l'épuisement, et les négociations quasi-frustrantes constituaient une sorte de dommage collatéral inévitable (et secrètement désiré), quand on se retrouve en situation de représenter le « soi ». Si il y a bien une chose que j'admets volontiers, c’est que c'est simplement par curiosité que j’ai choisi la salle à l’arrière du toit-terrasse 72-13 comme espace pour mettre en scène ma proposition. Une proposition qui (1) n’existait même pas, une (2) proposition servant plutôt d’excuse commode pour dire : « j’ai besoin d’un peu plus de temps pour réfléchir » ; une (3) proposition masquant ma tendance à m'évader du musée de la danse/des corps dansants – et qui, en tant que stratégie d'évitement de la danse, a bien failli réussir ; (4) une proposition qui étranglait l’urgence du temps et la malléabilité de l’espace ; (5) qui testait la tolérance à l’incertitude ; (6) qui résistait à la tentation de créer quelque chose de neuf ; (7) qui tentait une ambitieuse transgression ; (8) qui était pensée comme contrainte chorégraphique et spatiale ; (9) qui cherchait à éviter tout contenu prédéterminé ; (10) qui était quasiment vide de sens immédiat ; (11) une proposition qui s'est manifestée en cours de processus ; (12) une proposition pour mettre fin aux prises de décision faciles ; (13) une proposition ne proposant rien de particulier, si ce n'est une régulation à peine perceptible des possibilités illimitées de créer/travailler.

Parmi les 13 propositions dont je pouvais m’occuper au cours des 6 heures qui allaient s’écouler, je me refusai à en choisir une en particulier. Peut-être que n’en choisir aucune revenait à les choisir toutes, et finalement à céder, quoique avec hésitation, à la fluctuation des idées, (1) à un corps ayant cessé d’avoir un centre, (2) à un corps n’ayant pas besoin d’un centre, (3) à un corps insatisfait de la dichotomie entre le matériel et l’immatériel, (4) à un corps vieillissant, (5) à un corps renouvelé, (6) à un corps en train de se vider – (7) un corps impossible, (8) un corps d'archives, (9) un corps résistant à l’inscription, (10) un corps faillible, (11) un corps multiple, (12) un sujet désincarné, (13) un corps perméable et poreux.

La désorientation est probablement l'une des conditions sur lesquelles une situation performative peut capitaliser, un état que la pratique de la danse admet en secret. Le fait de travailler est principalement dirigé vers la dissolution du travail et du non-travail, vers la multiplication des modalités par lesquelles rendre les choses (im)possibles et casser la confortable ségrégation entre vie et travail. Et oui, maintenant je reconnais cet échec – je ne peux pas séparer vie et travail. Nulle part cet état de fait ne fut autant amplifié qu'au Musée de la danse, où l’on est – par le simple fait d’être dans un cadre toujours déjà pris dans un travail en cours, et où même l’espace mental privé est co-opté par cette zone temporelle. Dans expo zéro / Musée de la danse : il n’y avait rien du tout, pas d'objets ou d'artefacts à cataloguer, à projeter, à exclure, à isoler, à fétichiser – ni de récits à créer pour ou à partir d’eux. Il n’y avait que le cadre. (1) Fallait-il renforcer le cadre ? (2) Créer des anomalies ambitieuses en son sein ? (3) Ou le décadrer totalement ? (5) Assumer l'échec de sa fin ? (6) Admettre son échec ? (7) Transporter l’extérieur à l’intérieur ? (8) Embrasser sa finalité ? (9) Créer des fragments ? (10) Laisser des marques ou des traces ? (11) L’ignorer ? Non, il n'était pas question de l'ignorer. (12) L’étrangler ? (13) Le recadrer ?

Le propos du Musée de la danse est de créer une archive. Mais de quoi, de la danse ? Comment créer une archive à partir de la danse – qui n’est pas uniquement l'objet d'une pratique corporelle, mais aussi le résultat des cadres de la théâtralité et du regard des spectateurs ? Étant, en tant qu’êtres humains, confrontés à la décomposition, peut-être ne pouvons-nous nous empêcher de penser à ce que nous laissons derrière nous. Dans son introduction, Martina Hochmuth esquisse quelques-unes des propositions générées au cours des trois dernières éditions – à Rennes, Saint-Nazaire et Singapour : “le musée nous aide à affronter notre peur de la mort. En tant que créateurs, pouvons-nous nier le système ? Comment voulons-nous être gouvernés ? Nation imaginée, musée des choses, musée de la danse, échec de l’utopie, musée de l’illusion, muséologie du musée, collection impossible, articuler des doutes, mémoire de corps au Cambodge, étrangler le temps, stratégie chorégraphique, architecture…” La liste continue. Hormis les enregistrements, les souvenirs de l’événement – que reste-t-il sinon ces propositions ? Peut-être suffisent-elles. Ces propositions n'ont probablement pas pour but d'être des testaments, pas plus que la documentation d’un musée imaginé : car ce serait le rendre inimaginé, ce qui, sans aucun doute, amènerait le véritable échec – celui que nous ne pouvons pas nous permettre.

texte original en anglais

Here (1) failure is repackaged as the necessary x to sustain the tension that binds. A (2) failure that is symbolic of the obtuse of stability, (3) like those preemptive gestures that allay the fear of the impossible. (4) Failure provides the possibility to keep the phantasm of the ideal intact and tedium of habit admissible. (5) Failure allocates space for permutations and peripheral investigations. (6) Failure poses as motivation to reframe the ordinary and organization of the world as we observe it. (7) A failure that is at the same time a concealment of the tendency to manufacture eloquent excuses to prolong indecision and disclosure. (8) Failure is fragment consummate, an oblique strategy that is productive and cooperative because it is a rejection of finality. (9) Failure is the beginning of an impossible collection. (10) Failure is not exhaustion but romantic and affectionate. (11) Failure stands as the memorial where meaning is generated, worn-out and stripped of necessity. (12) Failure is a reason to start with nothing, work with nothing, and (13) reflect upon excesses that have yet to occupy space.

Hence I was neither surprised nor expecting when I realized soon enough that disorientation, distanciation, contradiction and exhaustion back-and-fort almost near frustrating negotiations were specifically the kinds of collateral damage to be paid and secretly aspired for when in the situation of performing the self. Should there be anything I could comfortably admit to, is that it was that I choose the back room at 72-13’s rooftop as a space to stage my proposition simply out of curiosity. A proposition that (1) did not even exist, but a (2) proposition that conveniently stood as an excuse for: ‟I need a little bit more time to figure it out ” a (3) proposition that masked my tendency to evade the museum of dance/dancing bodies, in fact one that almost came off as an avoidance of dance ; (4) one that strangled the urgency of time and malleability of space ; (5) one that tested the tolerance for uncertainty ; (6) one that resisted the temptation to create something new ; (7) one that attempted an ambitious transgression ; (8) one that was meant as a choreographic and spatial constraint ; (9) one that sought to escape a predetermined content ; (10) one that was almost near empty of immediate meaning ; (11) one that will manifest itself in the process ; (12) a proposition that should put indulgent decision-making to a halt ; (13) a proposition which proposed nothing in particular but a regulating liminal in the face of the endless possibilities of creating a work/ing.

Out of the 13 propositions I could occupy myself with for the duration of the 6 hours that would transpire, I decided against any particular one. Maybe choosing none meant choosing them all and finally admitting with albeit hesitation to the fluctuation of ideas, (1) to a body that has ceased to have a center, (2) to a body that doesn’t need a center, (3) a body discontented with the dichotomy of material and immaterial, (4) an aging body, (5) to a renewed body, (6) to an emptying body, (7) to an impossible body, (8) to an archival body, (9) to a body resisting inscription, (10 ) a failing body, (11) a multiple body, (12) a disembodied subject, and (13) a permeable and porous body.

Disorientation is probably one of those conditions that a performance situation capitalizes on, or one that a dance practice secretly admits to. Working is mostly spent towards the dissolution of work and non-work, towards multiplying the modalities of making things (im)possible and then breaking down the comfortable segregation of life and work. And yes, now I admit to this failure, I cannot break down life and work. Nowhere was this amplified but in the Musée de la danse where one by being in the frame is already framed in the work, where even the private mental space has been co-opted in this temporal zone. In expo zéro Musée de la danse: there was nothing at all, no objects or artifacts to be cataloged, screened, segregated, isolated, fetishized, and create narratives for and out. There was only the frame. (1) Should we reinforce the frame ? (2) Create ambitious anomalies within it ? (4) Or unframe it totally ? (5) Assume its failed end ? (6) Admit to its failure ? (7) Bring the outside in ? (8) Embrace its finality ? (9) Create fragments ? (10) Leave markings or traces ? (11) Ignore it ? No, there was no ignoring the frame. (12) Strangle it ? (13) Reframe it ?

The Musée de la danse is about creating an archive. But of what, dance ? How is it possible to create an archive out of dance, which is not merely an object of bodily practice but a result of the frames of spectatorship and theatricality ? Maybe, because as human beings we are confronted with decay that we cannot but help think about what we leave behind. Martina Hochmuth in her introduction outlined some of the propositions generated over the last three rounds in Rennes, Saint-Nazaire and in Singapore: ‟museum that help us face our fear of death, can we deny the system as art makers, how do we want to be governed, imagined nation, museum of things, museum of dance, failure of the utopian, museum of illusion, museology of the museum, impossible collection, articulating doubts, memories of bodies in Cambodia, strangling time, choreographic strategy, architecture…” The list goes on. Aside from the recordings and memories of the event, what is left behind but these propositions ? Maybe these are already enough. Probably these propositions are not meant as testaments nor documentation of an imagined museum for to do so will render it unimagined, which will definitely bring proper failure, one we cannot afford to have.