Archives et
traces documentaires
Nathalie Boulouch
Archives and
documentary traces
Dans son premier article sur les happenings d’Allan Kaprow, paru dans la revue Domus en août 1963, Pierre Restany expliquait : ‟Assister à un happening, c’est se plonger dans le bain, c’est être forcément ‟dans le coup” : cette manifestation correspond à une réalité en soi, dans l’espace et dans le temps. Pendant son déroulement, il existe comme un tout, comme une réalité physique et plastique indépendante”.
À l’appui de cette citation, il convient de se demander de quelle manière il est aujourd’hui possible d’aborder une forme d’art éphémère dont on n’a pas été le spectateur ? Comment montrer ce qui a été inscrit dans la pratique d’un corps, dans une durée et un espace ? Comment revenir sur une expérience émotionnelle que l’on n’a pas vécue ? Dès lors, comment penser la place de l’historien et la fonction du musée ?
Lorsque l’œuvre se confond avec l’expérience ‟ici et maintenant” de son accomplissement, surgit la question de la mémoire du geste corporel. Le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec cette mémoire repose sur un faisceau d’éléments qui se sont constitués en archives. La photographie, le film, la vidéo ont enregistré des traces des performances. Les spectateurs, parmi lesquels se trouvent les critiques, ont été les vecteurs de la diffusion de ces pratiques par leurs témoignages. Enfin, les revues, en publiant des textes et/ou des photographies, ont souvent joué un rôle essentiel de véritables scènes alternatives à la production ‟en direct”.
Au-delà des archives, le musée est le lieu où s’organise, où s’ordonne cette mémoire rendue publique. Comment imaginer un musée où se déploierait la mémoire de la danse ? Comment faire percevoir cet ‟ornement de la durée”, pour reprendre les mots de Paul Valéry ?
Depuis le XIXe siècle, la photographie puis le cinéma et la vidéo ont permis de fixer la trace de la danse : corps figés pour les besoins de la pose ; puis grâce aux progrès techniques, corps saisis dans l’énergie du mouvement. La valeur de ces images (fragments d’espace-temps) est celle d’une expérience en différé, dont le musée repose la question à nouveaux frais : documents ou œuvres ?
In his first article about Allan Kaprow’s happenings, published in the magazine Domus in August 1963, Pierre Restany explained: ‟To attend a happening is to plunge into it, it’s to be necessarily ‟with it”: this event corresponds to a reality in itself, in space and in time. During its process, it exists as a whole, as an independant physical and plastic reality.”
In order to back up this quotation, one might ask oneself in what way it is possible today to tackle an ephemeral art form without having been its spectator ? How to show what has been inscribed in the practice of a body, in a length of time and inside a certain space ? How to reconsider an emotional experience without having gone through it oneself ? Therefore, how to think the place of the historian and the function of the museum ?
When the artwork merges with the experience of the ‟here and now” of its accomplishment, arises the question of the memory of the body’s gesture. The relation we maintain today with this memory lies on a mass of elements gathered in archives. Photography, film, video have recorded traces of the performances. By their statements, the spectators, among whom the critics, have been the vectors of diffusion of these practices. And last, the periodicals, by publishing texts and/or photographs, have often played the essential part of true stages offering an alternative to the ‟live” production.
Beyond the archives, the museum is the place where is organized, that memory made public. How to imagine a museum where dance’s memory would unfold ? How to make one perceive that ‟ornament of duration”, to recall the words of Paul Valéry?
Since the XIXth Century, photography then cinema and video have allowed to fix the trace of dance: bodies frozen for the needs of the pose ; then, thanks to technical progress, bodies caught in the energy of movement. The value of such images (fragments of time-space) is that of a pre-recorded experiment, whose question is raised again by the museum: documents or artworks ?